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Journal de réflexion sur le soin psychiatrique

Quid du diagnostic de l’autisme.

Le diagnostic TSA (troubles du spectre de l’autisme) tel qu’il est posé aujourd’hui en France laisse beaucoup de personnes de côté, et notamment les femmes ou personnes assignées femmes adultes. Ainsi, pour beaucoup d’entre elleux, obtenir un diagnostic tardif est un véritable parcours du/de la combattant.e. 

Une des raisons à cela réside dans le fait que les critères diagnostiques sont encore bien souvent très stéréotypés, trop éloignés de la réalité, et les grilles utilisées pour mesurer ces critères chez les patient.e.s ne sont pas assez fines. Il en résulte que chez une population adulte qui a compensé nombre de difficultés pendant des années et qui a appris à cacher les manifestations de son autisme pour mieux s’intégrer et se conformer à une société valide, ces grilles ne sont pas adaptées. En effet, ces personnes ont souvent développé une communication qui semble en apparence « normale », elles ont intégré la plupart des codes sociaux qu’elles sont capables d’imiter tels de vrais caméléons (ce qu’on appelle le camouflage) mais tout cela au dépend de leur santé mentale et d’une fatigue souvent ingérable au quotidien. 

De plus, les critères actuels restent basés sur un modèle essentiellement masculin de l’autisme, alors que l’on sait que la société patriarcale induit des stéréotypes de genre et que l’autisme se manifeste souvent de façon beaucoup plus subtile et discrète chez les femmes ou personnes assignées femmes qui apprennent dès le plus jeune âge à faire « profil bas ».  

D’après le DSM-5 les critères du TSA sont regroupés dans les deux catégories suivantes. 1. Déficits de la communication et des interactions sociales : 

– Déficit de réciprocité sociale ou émotionnelle 

– Déficit des comportements non verbaux 

– Déficit du développement, maintien de la compréhension des relations 

2. Caractère restreint et répétitif des comportements, des intérêts : 

– Mouvements répétitifs ou stéréotypés 

– Intolérance aux changements, adhésion inflexible à des routines 

– Intérêts restreints ou fixes, anormaux dans leur intensité ou leur but 

– Hyper ou hypo sensibilité aux stimulis sensoriels 

Comme le souligne le Professeur Mottron dans sa conférence « Le point sur l’autisme invisible », ces critères posent un vrai problème de seuil, c’est à dire à partir de quel seuil déclare-t-on qu’une personne est autiste ou non. Car selon où l’on place le curseur et selon l’appréciation personnelle de chaque médecin, cela exclut ou non toute une partie de la population et notamment les femmes ou personnes assignées femmes. C’est ce qui fait qu’on se retrouve en France aujourd’hui avec des CRA (Centre Ressource Autisme) qui ont des taux de diagnostics confirmés pour les personnes auto-diagnostiquées de 5 % et d’autres de 80 %. Tout dépend de l’interprétation que fait chaque médecin des critères indiqués dans le DSM-5.  

On peut également s’étonner de la prévalence écrasante du TSA chez les hommes, là où d’autres troubles comme le trouble de la personnalité borderline (TPL) sont bizarrement considérés comme majoritairement « féminins ». Or le TPL et le TSA peuvent se chevaucher voire se confondre, et beaucoup de femmes ou personnes assignées femmes seront facilement diagnostiquées avec un TPL sans que l’on se rende compte qu’il s’agisse en réalité d’un TSA.  

Le sexe ratio pour le diagnostic TSA est actuellement d’une femme autiste pour quatre hommes autistes, ou pour l’autisme sans déficience intellectuelle d’une femme autiste pour neuf hommes autistes. Or comme le souligne Julie Dachez (autrice de la BD « La différence Invisible »), ces chiffres sont peut-être totalement faux et il est probable qu’on se rende compte dans quelques années que c’est en réalité une femme autiste pour un homme autiste, et qu’on arrivait juste pas à détecter et diagnostiquer ces dernières.  

Cette méconnaissance de l’autisme chez les femmes ou personnes assignées femmes a des conséquences lourdes pour des patient.e.s qui ont bien souvent des parcours chaotiques, qui collectionnent les comorbidités et ressentent une souffrance importante dans leur vie quotidienne. Les priver de diagnostic c’est entretenir une errance identitaire, thérapeutique et c’est ne pas leur donner accès aux outils qui pourraient améliorer considérablement leur quotidien.  

Il nous semble important d’insister sur le rôle des stéréotypes de genre et de leur impact sur le sous diagnostic des femmes ou personnes assignées femmes autistes.  

Les critères du DSM-5 ne tiennent par exemple absolument pas compte du fait que l’éducation et le système patriarcal dans lequel nous vivons ont des conséquences sur les comportements, ainsi on attend d’une femme qu’elle manifeste plus d’empathie par exemple, qu’elle soit moins impulsive, ou encore que ses centres d’intérêts ne dévient pas trop de la norme. Les femmes ou personnes assignées femmes ont intégré ces stéréotypes en grandissant et bien souvent par instinct de survie elles s’y sont en apparence conformé.e.s. Des critères tels que le manque d’empathie ou des centres d’intérêts spécifiques particuliers vont donc être beaucoup plus facilement repérables chez un patient homme et pourront passer complètement inaperçu chez une patient.e femme ou assigné.e femme. 

A noter également que pour l’instant le processus diagnostic du TSA reste très binaire et très genré, alors que la communauté autiste est particulièrement concernée par la transidentité. En effet, beaucoup de personnes autistes ne se reconnaissent pas dans la binarité dominante et on pourrait se demander si une approche agenrée du diagnostic ne serait pas bienvenue.  

Tout cela démontre à quel point la psychiatrie a encore malheureusement besoin de déconstruire les bases sur lesquelles elle s’est forgée, de prendre davantage en compte les contextes sociétaux et les systèmes d’oppression tels que le racisme, le sexisme, le validisme… Car ces violences font intrinsèquement partie de nos comportements et de nos réactions au quotidien.  

L’autisme véhicule encore aujourd’hui beaucoup de clichés qui n’épargnent pas le milieu médical. Souvent confondu avec la déficience intellectuelle dont il s’accompagne parfois, la réalité et la diversité du spectre autistique reste peu connue du grand public et de beaucoup de soignants. Dans l’imaginaire collectif l’autisme reste ce mal étrange forcément visible… Mais entre la figure du petit génie et celle de l’enfant non verbal qui se tape la tête contre les murs, combien de réalités ? Combien d’adultes en souffrance qu’on ne sait pas identifier ni aider ?  

Ces adultes justement, n’attendent pas toujours l’évolution et la reconnaissance du milieu médical, tout simplement parce qu’ils ne peuvent plus attendre. Leur survie est en jeu. Ils ont besoin d’outils au quotidien, de comprendre leur fonctionnement, c’est pourquoi beaucoup d’autistes sans déficience intellectuelle passent d’abord par un auto-diagnostic. Éconduits par les CRA qui décrètent au bout d’1h30 d’entretien (dans le meilleur des cas) que ce n’est pas la peine de leur faire passer une évaluation TSA car ils savent très bien communiquer et que rien ne se voit chez eux, ils font alors le travail que les soignants ne font pas, à savoir des diagnostics différentiels, ils se documentent en long en large et en travers sur l’autisme, ils échangent avec la communauté autiste et trouvent ainsi leurs outils, apprennent à respecter leur fonctionnement, mais ils restent privés du soutien institutionnel et des aides qui peuvent accompagner un diagnostic officiel. Ils ont alors la possibilité d’aller consulter en libéral mais les coûts sont élevés et ce n’est pas toujours facile de trouver un praticien de confiance. C’est pourquoi beaucoup d’adultes autistes et particulièrement de femmes ou personnes assignées femmes restent dans une errance diagnostique et thérapeutique pendant des années et des années.  

En conclusion, il serait peut-être temps que la psychiatrie remette en question les grilles d’évaluation qui sont utilisées pour diagnostiquer l’autisme, et que les critères soient réactualisés afin de tenir compte des spécificités de toute la population. Il serait également judicieux que des pair-aidants soient présents dans les CRA pour justement amener leur expérience de l’autisme ce qui permettrait d’affiner l’expertise des soignants et de les sensibiliser à des problématiques importantes pour la communauté autiste.  

Beaucoup de personnes autistes remettent en cause le processus diagnostic tel qu’il existe actuellement et demandent plus largement la reconnaissance de la neurodiversité dans son ensemble. Elles reprochent au système psychiatrique de considérer l’autisme comme une maladie au lieu de l’envisager comme une condition neuro-développementale. De leur point de vue, la plupart des handicaps que vivent les personnes autistes au quotidien sont essentiellement dues à l’environnement et au fait de vivre dans une société faite pour les valides qui attend de chaque individu qu’il s’adapte, quelle que soit sa condition de base. On peut alors se prendre à rêver d’une société qui prendrait en considération l’ensemble des fonctionnements humains et qui percevrait chaque différence comme une force supplémentaire qui vient enrichir la communauté.  

Ça s’dit pas / Florie Adda et Marie Marković 

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Conférence du Pr Mottron « Le point sur l’autisme invisible » :  

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