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Journal de réflexion sur le soin psychiatrique

Question épistémologique et apport de la philosophie, entretien avec le Dr El Omeiri.

Alexandre El Omeiri est psychiatre à la clinique des Quatre-Saisons à Marseille et, aussi à travers sa maison d’édition « Les éditions de la Conquête », inscrit son travail dans une démarche épistémologique. Cette dernière étant une profonde réflexion sur les origines logiques de la méthode scientifique, questionnant entre autre la manière par laquelle sont atteints les objectifs que se donne la science.

Peu de sciences comme la psychiatrie contiennent autant de courants, de postures différentes face à un esprit humain qui ne fait que glisser des mains. Les va-et-vient dans le temps sur les méthodes questionnent même la notion de progrès.

Pourrait-on alors considérer l’épistémologie comme l’allié indispensable de la psychiatrie ?

Il y a d’abord à se questionner sur la toute première assertion que tu fais, à savoir le fait que la psychiatrie soit une science. Il faut revenir pour cela au moment de l’émergence de la psychiatrie comme une discipline médicale, au début du 19ème, et au rapport déjà paradoxal qu’elle entretenait avec les sciences naturelles. Déjà, à l’époque, et pour dire les choses grossièrement, le caractère scientifique de la médecine en générale était polémique. La médecine n’offrait pas les mêmes garanties de résultats et les savoirs sur lesquelles elle s’appuyait, parfois purement empiriques, parfois fortement spéculatifs, n’étaient pas fondés sur des certitudes aussi « scientifiques » que celles de la médecine actuelle.

Quand je dis « aussi scientifique », j’expose, et c’est délibéré, le caractère graduel, non catégorique, non abouti de la « scientificité ». A savoir que la science serait quelque chose qui « tend vers » l’objectivité, mais ne peut pas la revendiquer d’emblée pour son compte.

Si on s’imagine que la psychiatrie manie des certitudes scientifiques par le seul fait qu’elle bénéficie d’une sorte de validation académique, on va droit dans le mur. L’approche épistémologique c’est un peu le scrupule du chercheur. Ce n’est pas tout à fait l’allié de la psychiatrie, mais disons qu’une psychiatrie qui prétend pouvoir se passer de la remise en question épistémologique serait une psychiatrie sans scrupules.

Cela dit, ces considérations ne concernent pas spécifiquement les courants de la psychiatrie qui se disent « scientifiques », elles concernent tout autant, si ce n’est plus, les courants fondés sur des idéologies, même humanistes, qui ont souvent le tort de se croire au-dessus de tout soupçon, parce que bienveillantes, alors qu’elles charrient elles-aussi leur lot de certitudes mal acquises et de préjugés.

Comment s’est posé à toi l’évidence d’une nécessité épistémologique pour la psychiatrie actuelle ?

Le problème c’est que moins une discipline tend vers l’objectivité, plus elle « revendique » d’être objective. C’est particulièrement le cas avec la psychiatrie qui évidement, puisqu’elle prétend traiter de la subjectivité des gens, a un caractère scientifique particulièrement controversé. Alors on entend de plus en plus de psychiatres revendiquer la scientificité de la psychiatrie, plus qu’ils ne prouvent l’objectivité de leurs démarches. Il est bien sûr primordial d’essayer de tendre au maximum vers l’objectivité, et de se donner tous les moyens pour le faire, et d’essayer d’autant plus fort que la tâche semble donquichottesque.

Ce n’est pas la même chose si l’on prétend que cette scientificité nous revient de droit, parce que l’on serait une spécialité médicale comme une autre, ce qui n’est pas vrai ; ou si l’on s’imagine que notre diplôme de médecin garantit note objectivité scientifique, ce qui est ridicule.

C’est parce que j’ai entendu certains psychiatres de ma génération, ou qui sont mes ainés, avoir ces prétentions, que m’a semblé évidente la nécessité d’une approche épistémologique pour la psychiatrie actuelle.

Pinel a écrit le traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale en 1802 .

C’est lors de différents entretiens en clinique avec toi que j’ai pu réaliser le fait qu’à la base de la psychiatrie, il y avait un pont avec la philosophie.

D’ailleurs, à la clinique où tu exerces, « les Quatre-Saisons » tu animes un café philo avec les autres patients.

Pourquoi cette discipline est si importante pour toi ?

L’objet de mon travail, en fin de compte, c’est l’esprit humain. Mon travail consiste à essayer de comprendre pourquoi il souffre, comment il déraille, comment, idéalement, le soigner. Pour cela, la philosophie, qui cherche elle à analyser le fonctionnement de l’esprit humain est d’une aide évidente. Il faut comprendre comment ça marche, pour mieux comprendre ce qui peut dysfonctionner.

Cela dit, la psychiatrie est un abord spécifique de l’esprit humain, du côté de la pathologie. C’est comme une autre perspective sur le fonctionnement de l’esprit. Une perspective qui est complémentaire à la philosophie, et non seulement déduite de la philosophie.

C’est un peu ce qu’essayait de dire Foucault dans son fameux livre sur l’histoire de la folie, à savoir que la folie nous dit quelque chose de l’homme, que la raison n’est pas en mesure d’appréhender.

Pourquoi l’intégrer à ta pratique de soin ?

Parce que l’objet de mon travail, encore une fois, c’est l’esprit humain, mais surtout celui des autres, de mes patients. Il me faut donc, pour y accéder, que mes patients puissent témoigner au mieux de leurs vécus intérieurs. Tout le monde n’a pas les mots ni les nuances conceptuelles pour rendre compte précisément de ce qu’il vit. Les ateliers café philo aux Quatre-Saisons servent surtout à enrichir les outils conceptuels des patients, à aboutir aux quelques paradoxes fondamentaux de la condition humaine, pour qu’ils puissent appréhender plus clairement leurs propres vécus psychiques. Ce qui me semble important pour leur bien-être et pour la gestion quotidienne de leur santé mentale.

Concrètement,, comment se passent ces ateliers ?

Très simplement, autour d’une table, de préférence à l’extérieur quand il fait beau.

Avec du café. Parfois on choisit spontanément un thème, parfois quelqu’un a écrit quelque chose à l’avance, parfois on a imprimé et distribué un chapitre de livre à la session précédente.

En général la parole est assez libre, les avis hétérogènes. On essaye progressivement de complexifier le propos. L’idée c’est plus d’exposer les paradoxes de la personnalité que d’aboutir à des réponses.

Et comment les patient.es arrivent à faire des liens entre la philo et leurs problématiques personnelles ? Pourrais-tu témoigner d’un moment où tu a remarqué que ça fonctionnait ?

En fait, le plus souvent, les patients se servent de leurs problématiques pour faire avancer le propos. Il y a un aller-retour entre des considérations personnelles et une perspective d’ensemble plus théorique. Là, j’ai plutôt comme rôle d’orchestrer les discussions. Ne pas les laisser dériver vers trop d’abstraction, ne pas non plus s’enliser dans les problématiques personnelles des uns et des autres.

Ce qui fonctionne, avant tout, c’est de se creuser les méninges. Quand t’es hospitalisé et que ton quotidien est un peu rébarbatif, ça fait du bien de réfléchir à des choses variées, tout simplement. La convivialité aussi, ça fait du bien.

Parfois j’oriente le thème en fonction de la problématique particulière d’un des participants, pour l’amener à se sortir d’une de ces impasses dialectiques dans lesquelles on se coince parfois. Ca nécessite une forme d’endurance dans la démarche intellectuelle pour aboutir vraiment. En général, les patients qui sont touchés par la question, sont très impliqués dans la discussion. Ce qui, je crois, veut dire que ça fonctionne. Des thèmes comme «  la solitude »,  ou « le sexe » par exemple, touchent tout le monde, et permettent parfois à certains de se sentir plus en communauté avec les autres. Ce n’est pas rien, compte tenu du parcours de certains patients qui arrivent aux Quatre-Saisons.

La psychiatrie s’aide d’autres disciplines pour soigner les patients lors de leur séjour : danse, arts plastiques, sport, musique et beaucoup d’autres.

On connaît les bienfaits du sport sur la mémoire, le sommeil et l’oxygénation du cerveau.

La musique est reconnue pour ses vertus d’apaisement ou d’excitation selon le rythme, activant ainsi dopamine, ocytocine ou bien encore la sérotonine.

Quels seraient, d’un point de vue thérapeutique, celles de la philosophie ?

Je crois que c’était Bachelard qui disait que la pensée avait toutes les formes, tous les rythmes. Une idée peu nous ravir, il me semble, tout autant qu’un air de musique. Ce n’est d’ailleurs pas très grave si elle nous traverse sans que l’on puisse la retenir, ni la reformuler. La pensée est inhérente à la conscience que l’on a du monde, et de qui on est. 

D’un point de vue, neurobiologique, la philosophie mise en pratique correspond nécessairement à tout un cortège de processus physiologiques, qu’il est au demeurant assez inutile de comprendre, à notre échelle (celle du café philo), puisque les idées se forment déjà sur le plan de la pensée, ce même plan sur lequel elles prétendent à une action thérapeutique. 

Il est vrai que la philosophie organise notre pensée et oriente ainsi nos actions, pouvant par conséquent consister en une pratique de santé. C’est une chose assez évidente au final, même si l’on a parfois du mal à y arriver. Notre société n’encourage plus ce genre de discipline, alors est ce que la psychiatrie pourrait se charger de la remettre en avant ?

Et est-ce que cette même psychiatrie, dans toute sa modernité, va vers cela ? 

Alors, il y a déjà ce que la psychiatrie veut, et ce que la psychiatrie peut. Quant à vouloir, les ambitions des psychiatres sont assez hétérogènes, il y a bien sûr ceux qui ne voient pas trop en quoi la philosophie les concerne, mais il y a aussi récemment un essor des approches épistémologiques qui cherchent à investiguer les fondements conceptuels de la psychiatrie et qui opèrent ainsi un rapprochement avec la philosophie, c’est conduit par l’école d’épistémologie psychiatrique de Cambridge, mais aussi un peu à Marseille. On a traduit le livre « Pour une nouvelle épistémologie de la psychiatrie » de German Berrios (aux « Éditions de la Conquête ») et il commence à faire son chemin vers les bibliographies des chercheurs.  Il y aussi l’émergence d’une forme « existentielle » de psychiatrie qui oriente principalement son action sur un plan identitaire : Qui-suis-je ? Qu’est-ce que je veux de la vie ?  Ce sont des questions que l’on pourrait dire d’ordre philosophique, mais qui implique un effet direct sur le psychisme. Moi ça me semble assez évident. 

Alors de là à pouvoir se charger de remettre en avant la philosophie dans la société. Je ne sais pas trop. La psychiatre demeure une discipline médicale. Il ne faudrait pas non plus que ce soit une philosophie basée sur ce le pathologique. Œuvrons, et nous verrons bien ce qu’il en ressort. 

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