
Qui est Fernand Deligny ? Un nom mais surtout un renom dont il n’a eu de cesse de se méfier et qui
pourtant s’est parfois imposé à l’instituteur, à l’éducateur, à l’écrivain, au provocateur qui a travaillé
des années trente jusqu’aux années quatre-vingt-dix avec des enfants en marge, de toutes les
marges.
Deligny naît en 1913 à Bergues, et après des études de philosophie et de psychologie qui le mènent plus sûrement au bistrot du coin que sur les bancs de l’université, il découvre l’asile à la fin des années trente. L’asile d’Armentières, l’un des plus grands d’Europe, où 1200 « aliénés » sont enfermés sans grand espoir de sortie. En suivant les pas d’un de ses camarades, interne en médecine, Deligny pénètre derrière les hautes grilles de cet établissement gigantesque aux multiples pavillons où des gardiens surveillent l’inactivité des individus assemblés là. Puis, au sortir de son service militaire, par l’entremise du père d’un de ses amis Deligny devient instituteur suppléant dans une classe de perfectionnement, rue de la Brèche-aux-loups, à Paris. Là, devant « un pâté de présences » d’enfants échoués là parce que rétifs aux classes d’enseignement classiques et à leurs méthodes, Deligny cherche, échoue, invente, essaie. Ce faisant, il commence à mettre en marche l’un des mots qui va guider l’ensemble de son travail, la tentative.
Incapable de « faire la classe » comme d’autres font leur métier, il emmène les enfants au zoo de Vincennes, invente avec eux des histoires à partir de quelques traces déposées sur le tableau noir, leur fait jouer des scènes, déguisés. Pris dans une époque où certains entendent faire l’école autrement, Deligny cherche, invente, bricole avec ce qu’il trouve au quotidien plus qu’avec la lecture de Freinet ou des tenants de la pédagogie active. De retour à Armentières quelques mois plus tard, c’est à l’asile qu’il revient, dans la salle de classe réservée aux enfants réputés « éducables ».
Démobilisé après la défaite française en 1940, il revient encore à l’asile, mais cette fois en tant qu’éducateur principal. Affecté au Pavillon III, il doit croiser la vie de cent à cent-cinquante gamins échoués là pour des motifs divers. Enfants fous, attardés, orphelins ou délinquants, « pervers constitutionnels » ou « débiles légers » selon les classifications de l’époque, les catégories sont nombreuses mais aussi poreuses. Les services de ce qui deviendra la protection de l’enfance, comme ceux qui s’occupent d’enfance délinquante, sont en cours d’institutionnalisation et l’asile devient le point d’arrivée de la plupart des enfants restés trop loin dans la marge. Là, Deligny tient ce qu’il appellera par la suite l’une de ses premières positions, campée sur quelques principes pratiques : abandon de toute forme de sanction, sorties en dehors de l’institution, participation des enfants, activité des gardiens… il s’agit davantage de trouver une manière de faire vivre ensemble les adultes et les enfants arrivés là, que de s’appuyer sur diagnostics et méthodes pour conserver les uns et les autres dans un statu quo susceptible de profiter avant tout à l’institution.
L’asile d’Armentières, l’un des plus grands d’Europe, où 1200 « aliénés » sont
enfermés sans grand espoir de sortie. En suivant les pas d’un de ses camarades, interne en
médecine, Deligny pénètre derrière les hautes grilles de cet établissement gigantesque aux multiples
pavillons où des gardiens surveillent l’inactivité des individus assemblés là. Puis, au sortir de son
service militaire, par l’entremise du père d’un de ses amis Deligny devient instituteur suppléant
dans une classe de perfectionnement, rue de la Brèche-aux-loups, à Paris. Là, devant « un pâté de
présences 1 » d’enfants échoués là parce que rétifs aux classes d’enseignement classiques et à leurs
méthodes, Deligny cherche, échoue, invente, essaie. Ce faisant, il commence à mettre en marche
l’un des mots qui va guider l’ensemble de son travail, la tentative.
C’est en 1967 qu’il s’installe dans les Cévennes, avec un groupe d’adultes et d’enfants autistes,
d’abord dans une maison appartenant à Félix Guattari, puis quelques kilomètres plus loin, à
Monoblet. Là, les adultes et les enfants tentent de construire un mode de vie en commun où il ne
s’agit ni de soigner ni de comprendre l’autre, mais bien de trouver une manière de vivre en présence
les uns des autres.