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Journal de réflexion sur le soin psychiatrique

Vers la mort du DSM ? Pamphlet contre l’approche catégorielle des troubles mentaux, et pour une approche processuelle : l’exemple de la schizophrénie. 

*note : Le DSM est le manuel Diagnostique et Statistique des troubles Mentaux, c’est un ouvrage utilisé dans le monde entier, qui classe et décrit les troubles mentaux. Sa validité est de plus en plus critiquée.

Les diagnostics psychiatriques : simplifier l’information pour faciliter les décisions ?

Schizophrènes, bipolaires, dépressifs, schizo-affectifs, etc. Lisez-vous l’espoir d’un rétablissement possible dans ces mots ? Pour la plupart des gens, y compris les professionnels de santé mentale, ces mots évoquent plutôt la peur que l’espoir (Sadler et al., 2012 ; Valery et Prouteau, 2020).

Qu’est-ce qu’un diagnostic psychiatrique et à quoi ça sert ?

Un diagnostic psychiatrique, dans sa définition, est un « concept valide qui donne des informations supplémentaires sur les symptômes : grâce au diagnostic, on peut connaître les facteurs de risques, l’évolution de la maladie, le fait qu’elle soit héréditaire ou non, et ça permet d’informer le clinicien dans ses décisions thérapeutiques » (Spitzer, 2001). Un aspect très important est la validité du diagnostic : un diagnostic doit être précis et bien défini ; il doit aussi être différent d’un autre diagnostic. Par exemple, pour le diagnostic de schizophrénie, des critères précis sont établis (hallucinations, etc.) avec une durée de temps précise (6 mois minimum), etc. Si ce diagnostic est valide, alors, les personnes qui présentent tous les symptômes de la schizophrénie souffrent donc de schizophrénie. Par contre, les personnes qui n’ont qu’un ou deux symptômes de la schizophrénie n’en souffrent donc pas.  Le diagnostic étant informatif, il est utile pour le professionnel de soin : par exemple, le traitement pharmacologique devrait, en toute logique, être différent si la personne a reçu un diagnostic de bipolarité ou de schizophrénie.

En un mot, diagnostiquer permettrait de mieux comprendre la maladie pour mieux la traiter. Enfin… c’est le principe ! La suite de l’article montre que les diagnostics, ne permettent pas de mieux comprendre la maladie, ni de mieux la traiter. En revanche, ils sont très efficaces pour classer les personnes facilement et leur donner un traitement rapidement.

Diagnostics et stigmatisation 

Les diagnostics psychiatriques sont généralement synonymes de stigmatisation de la part de la société : schizophrènes = dangereux, incompétents, instables, socialement inadaptés, etc. (Boysen et al., 2020). Cette stigmatisation est de plus, souvent internalisée par les personnes ayant reçu un diagnostic psychiatrique, les menant à croire pour vrai les préjugés associé à leur diagnostic. Le désespoir véhiculé par le diagnostic psychiatrique et l’auto-stigmatisation associée ont été documentés de nombreuses fois comme étant des freins majeurs au rétablissement (Lysaker et al., 2008).

Pour une grande partie des personnes concernées par des difficultés psychologiques, les diagnostics psychiatriques qui leur ont été donnés ne semblent pas être d’une grande aide : seulement 1 personne sur 10 ayant reçu un diagnostic de schizophrénie utilise ce terme pour en parler à sa famille ou à son entourage, selon le Collectif Schizophrénies.

 Il est aussi intéressant de noter que les psychiatres n’utilisent pas systématiquement le diagnostic de schizophrénie. Une étude portant sur 74 psychiatres français indique que seulement 20% emploient le terme de « schizophrénie » pour répondre aux questions diagnostiques de leur patients, 40% utilisent le terme de « psychose », 17% « perte du contact avec la réalité », et enfin 15 % évitent intentionnellement de répondre à la question du diagnostic, généralement par crainte de donner une étiquette au patient ou de se tromper de diagnostic (Moreno, 2020). 

Les diagnostics psychiatriques, dont le but initial était de clarifier les choses, semblent avoir eu un effet inverse. Le grand public s’est approprié ces diagnostics et les a détournés, en donnant une vision négative et stigmatisante, surtout dans les médias. 

Plus généralement, des études scientifiques ont montré qu’une approche catégorielle des troubles mentaux participe à la stigmatisation de ceux qui en ont reçu l’étiquette.

L’approche catégorielle, qu’est-ce que c’est exactement ?

L’approche catégorielle des troubles mentaux consiste à reprendre pour la psychiatrie ce qui est souvent observé en médecine somatique : la personne malade présente des symptômes visibles, et on peut déduire à partir de ces symptômes l’existence d’une maladie. Le concept de “maladie” est donc très souvent utilisé pour décrire des difficultés psychologiques, et la personne en difficulté est souvent réduite à un rôle de “malade”.

La “maladie”, par exemple la schizophrénie, va être la cause des symptômes, par exemple des hallucinations ou des idées de persécution. Il existerait donc « quelque chose » que l’on nomme schizophrénie, et c’est ça que l’on va essayer de traiter. Si cette catégorie diagnostique existe réellement, on peut alors s’attendre à ce que les traitements agissent dessus. Or, ce n’est pas le cas ! Les traitements médicamenteux dits “antipsychotiques” ne traitent pas l’ensemble des difficultés présentes dans la schizophrénie : ils sont inefficaces sur la faible motivation, le retrait social, ou encore sur les difficultés de concentration et d’organisation. 

D’autres thérapies sont efficaces pour réduire ces difficultés, comme l’entraînement des compétences sociales ou la remédiation cognitive.

Pour conclure, la validité de “la schizophrénie” comme étant une seule et même “maladie” est sérieusement remise en question, entre autres car différentes thérapies sont nécessaires aux différentes difficultés rencontrées par la personne concernée. On peut donc penser qu’il ne s’agit pas d’une seule maladie, mais plutôt d’un ensemble de difficultés différentes qui sont plus ou moins présentes chez les personnes concernées.

Le crépuscule des approches catégorielles et du DSM

En tant que professionnel de santé mentale, le diagnostic ne m’aide pas à comprendre ni à accompagner les personnes que je reçois. Par exemple, pour 10 personnes avec le même diagnostic de schizophrénie qui viennent consulter, vous pouvez être certain que chaque personne présentera des symptômes différents, des problématiques cliniques différentes, et auront probablement un traitement pharmacologique différent. On entend parfois dire « il y a autant de schizophrénies que de schizophrènes ! ».

A titre d’exemple, dans un article de la Revue canadienne de psychiatrie portant sur les conduites à tenir dans le traitement pharmacologique de la schizophrénie, l’article commence par le principe suivant : «  La schizophrénie est un ensemble hétérogène de troubles qui se présentent de façon différente au niveau de l’évolution, de l’efficacité du traitement et du pronostic. ». Cela signifie que la schizophrénie est composée de nombreuses difficultés indépendantes, et que les traitements sont souvent différents d’une personne à l’autre. On se rapproche de l’absurdité : pourquoi parler d’un trouble lorsqu’il s’agit de plusieurs troubles ?

L’absurdité continue avec le trouble schizo-affectif, qui est un diagnostic à part entière dans le DSM! Des scientifiques de l’université de Rio de Janeiro (Chenaux et collègues, 2008) ont pourtant montré que ce diagnostic n’était pas valide en tant que “maladie” bien définie, mais qu’il s’agissait plutôt de personnes qui présentaient des difficultés de type psychotique et de troubles de l’humeur.

Toutes ces explications en viennent aux mêmes résultats : les diagnostics de schizophrénie, de trouble schizo-affectif et de troubles de l’humeur ne sont pas valides scientifiquement car ils n’ont pas de limites bien définies. Le déclin de l’approche catégorielle est enclenché.

Pour enterrer définitivement cette vision catégorielle, deux parmi les plus importants journaux scientifiques internationaux ont décidé de changer de nom. Schizophrenia Research a ajouté le sous-titre : « un journal du spectre psychotique », et le journal Schizophrenia Bulletin a lui aussi ajouté à son titre « le journal des psychoses et des troubles associés ».

Une nouvelle approche : l’approche processuelle

Une part grandissante des recherches ne s’intéressent plus aux diagnostics, cette approche étant peu informative sur le fonctionnement des troubles psychiatriques. 

Des approches nouvelles ont vu le jour, que l’on pourrait englober sous le nom d’approches processuelles. Le principe de l’approche processuelle est très simple : les processus psychologiques impliqués dans le fonctionnement normal peuvent parfois dysfonctionner. Lorsque ces processus dysfonctionnent, ils entraînent des troubles psychiatriques plus ou moins graves (Philippot, 2016).

La grande différence avec l’approche catégorielle, c’est que ces processus sont présents chez tous les humains : ils nous servent à réfléchir, à planifier, à s’occuper de nos proches, à interpréter les situations sociales, et à avoir une vision complexe et riche de qui nous somme, de notre identité.

Prenons l’exemple des pensées répétitives négatives et de l’anxiété. L’approche catégorielle classique nous dit que le trouble anxieux généralisé n’est présent que dans une très faible proportion de la population (entre 2% et 6%). Vous n’en souffrez probablement pas ! Mais pourtant, il est certain que vous vous soyez déjà inquiété outre mesure dans une certaine situation. Vous avez déjà été anxieux, mais l’intensité et la durée sont probablement restées relativement faibles. De fait, ce qui vous différencie d’une personne ayant reçu un diagnostic psychiatrique de trouble anxieux généralisé est simplement l’intensité et la durée des symptômes, mais le processus de pensées répétitives négatives est le même

Conclusion

Les recherches scientifiques actuelles s’orientent vers une compréhension des troubles mentaux comme étant causé par des processus communs à tous. Ces processus sont de différents niveaux d’explications (génétique, biologique, neurologique, psychologique, sociologique), et jusqu’à présent, aucun processus n’a été identifié comme étant la cause unique d’un trouble mental. Une approche clinique minutieuse, se basant sur les problèmes psychologiques précis de la personne, et non pas sur un diagnostic, semble être aujourd’hui l’approche la plus prometteuse pour accompagner au mieux sur la voie du rétablissement. L’apport grandissant des pairs-aidant professionnels va certainement dans ce sens : montrer que des difficultés peuvent arriver chez tout un chacun, et qu’il est possible de s’en rétablir. 

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