Un lieu pour s’outiller face à l’adversité
Cofor moderne
En matière d’accompagnement des personnes souffrant de troubles psychiques, l’heure est au changement de paradigme. Au Centre de formation au rétablissement (Cofor), à Marseille, ce sont les primo-concerné·es qui échangent autour de nouvelles pratiques répondant à leurs besoins, chacun·e apprenant des connaissances des autres. Tour d’horizon.
À l’époque de mes hospitalisations, au début des années 2000, la psychiatrie publique ne débordait pas d’imagination. Les interlocuteurs potentiels étaient facilement identifiables mais jamais disponibles, le médicament se chargeait de vous rendre gérable par l’institution, les ateliers proposés devaient mollement vous occuper la semaine, le circuit de soins à la sortie était bien balisé. De l’atelier animé par le pharmacien du Centre médico-psychologique (CMP) aux séances de visionnage de VHS avec les mamies à l’hôpital de jour, l’ennui prédominait. Ça ne débordait pas d’enjeux.
Les temps ont bien changé, à commencer par le vocabulaire. Tout d’abord, on ne parle plus de « malade psychiatrique » et plus trop de « personne en situation de handicap psychique », puisque maintenant vous pouvez être « usager en santé mentale ». Même si ce terme ne dit rien du foisonnement et du chaos intérieur, même s’il ne vous fait plus exister qu’au vu de votre relation avec les institutions, il a l’avantage de faire de vous quelqu’un de respectable, qui a des droits – un client, presque…
On vous dit de moins en moins que « la guérison, c’est pas pour vous » – le rétablissement semble plus accessible, voire plus souhaitable. Occupant une place centrale dans ce processus, la personne concernée va être accompagnée pour retrouver l’estime d’elle-même, pour conforter ses capacités à agir et à prendre des décisions, pour améliorer son bien-être et étoffer ses relations affectives, pour exercer des rôles sociaux gratifiants, défendre sa peau.
Des formations par et pour les concerné·es
Pour creuser et transmettre cette nouvelle approche, un lieu fantastique a vu le jour à Marseille, dans le quartier de la Pointe-Rouge : le Cofor (Centre de formation au rétablissement), hébergé dans les locaux d’un institut de formation pour travailleurs sociaux. Le principe : permettre à des personnes ayant des troubles psys d’acquérir outils et connaissances pour étayer leur rétablissement et éviter les rechutes. Contrairement à ce qui peut se passer dans les structures de soin, au Cofor, ce ne sont pas des soignant·es qui vous assènent leur vision des choses mais, pour 90 %, des personnes ayant elles-mêmes connu un parcours en psychiatrie (des pairs, donc). L’idée étant que les formations soient co-construites par les étudiant·es, leurs animateurs et animatrices ne sont pas appelé·es « enseignant·es », mais « facilitateurs » et « facilitatrices ».
L’histoire commence en 2016. Une trentaine de personnes impliquées dans des structures alternatives du médico-social, travailleur·euses comme bénéficiaires, cherchent à ouvrir un espace dans lequel penser le changement. Elles décrochent un appel d’offres de l’Agence régionale de santé (ARS) concernant l’autonomie en santé, et prennent un an pour monter le projet et définir le cadre théorique du futur Cofor.
Contrairement à certains Recovery Colleges de l’étranger, ici, il n’y aura donc pas de place pour les soignants dans l’équipe, et seules les personnes concernées par les troubles pourront être étudiantes (des interventions du Cofor auprès de professionnel·les du médico-social se chargeant tout de même par ailleurs de les sensibiliser au rétablissement). L’organisation est voulue horizontale et participative à tous les niveaux : les étudiant·es prennent part aux réunions hebdomadaires, au comité pédagogique, au comité de pilotage, co-construisent les modules… L’égalité salariale est la règle.
Parfois les réunions sont « rock & roll », témoigne Anne, une des cofondatrices du Cofor. Mais au moins, on s’assure que le contenu des formations émane des besoins des primo-concerné·es. Et en septembre 2017, quatre modules sont proposés : Droits (accéder à son dossier médical, désigner une personne de confiance, rédiger des directives anticipées en cas d’hospitalisation…) ; Plan d’action individualisé vers le rétablissement ; Vivre avec (identifier les signes précurseurs d’une crise, s’affirmer face au psychiatre, apprendre à témoigner sans craindre le jugement…) ; et Bien-être (méditation, yoga, etc.).
Chaque module se compose d’une douzaine de séances de deux heures environ, et accueille jusqu’à douze étudiant·es (en janvier 2019, la moyenne d’âge était de 43 ans, 50 % ayant un niveau bac). À chaque fin de trimestre, on ajuste le contenu en fonction des retours. En tenant compte aussi des personnes qui animent le module : untel est juriste de formation, unetelle convaincue par la pertinence de la psychanalyse, unetelle espérait voir émerger un lobby de défense des psychiatrisé·es…
Former à la « pair-aidance »
Mathieu et Aïcha, ancien·es étudiant·es devenu·es facilitateur et facilitatrice de module, insistent sur la manière dont le Cofor les a aidé·es à mieux écouter et comprendre les gens, comment les échanges permanents leur ont permis d’évoluer. Anne, elle, a fait le choix de quitter le centre après avoir été facilitatrice pendant deux trimestres : « Ce que j’avais à dire est passé, il faut que ça tourne ! »
Depuis quelque temps, l’envie se fait sentir de monter un cinquième module professionnalisant d’initiation à la pair-aidance. L’idée est de compléter l’offre de formation existante (licence professionnelle « Médiateur de santé-pair » à Lyon et Paris), en donnant sa chance à tout le monde, sans niveau de diplôme requis. Pour Anne, le risque engendré par ce cinquième module est d’« envoyer au front de la chair fraîche » – autrement dit, de placer toujours plus de personnes payées au rabais dans des équipes soignantes encore très stigmatisantes, qui les enverront en première ligne en cas d’urgence, sans accompagnement pour amortir la charge mentale, sans organisme pour les défendre en cas de conflit.
Mais ce module cherche avant tout à structurer et approfondir une pair-aidance qui existe déjà de manière spontanée, quand quelqu’un débarque à une session avec son dossier juridique sous le bras, quand tel·le autre a besoin de soutien pendant son hospitalisation…
Que cent COFOR s’épanouissent…
Au Cofor, les avis concernant l’orientation à donner au projet par la suite divergent : participer davantage à la formation des internes en médecine et des travailleurs sociaux, offrir des cursus réellement diplômants, faciliter l’accès à des formations classiques, contribuer à l’émergence d’un réseau de rétablissement alternatif à l’hospitalisation, faire en sorte que les personnes les plus précaires aient davantage recours au Cofor ? Par ailleurs, au vu de ses bons résultats attestés par le travail conjoint d’une psychiatre et d’un anthropologue, le Cofor est à peu près sûr d’être pérennisé après 2021… Des projets similaires se montent même à Paris et Lille !
Malgré tout, plusieurs questions importantes restent en suspens : risque-t-on de jouer le jeu du libéralisme et de ses coupes budgétaires en mettant en avant les capacités individuelles de rétablissement, comme si chacun devait autogérer ses crises existentielles, rendant obsolète toute politique publique en la matière ? Le Cofor pourra-t-il se passer un jour de Solidarité Réhabilitation, structure porteuse et gestionnaire, étroitement liée à l’AP-HM (Assistance publique-Hôpitaux de Marseille), qui sur son site internet met en avant les études de Fondamental, la fondation de santé mentale qui siphonne les budgets étatiques pour ses recherches en neurosciences ? Parano, moi ? Confuse, sans doute…
Reste que, en comparaison à ce qu’on pouvait faire de manière informelle à Toulouse, le Cofor touche plus de monde, garantit un cadre pérenne sur la durée et donc un approfondissement des questionnements et une accumulation de connaissances et d’outils. Et surtout, il permet à beaucoup de gens de ne pas avoir le médicament pour seul horizon.
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