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Journal de réflexion sur le soin psychiatrique

Je vous écrits de ceux qui voient des monstres dans les pots de confitures

«Quand le moment du monde à l’envers est venu et que c’est être fou que de demander pourquoi on vous assassine, il devient évident qu’on passe pour fou à peu de frais.» Céline L-F. Voyage au bout de la nuit. 

Je vous écris de chez les corps humains de seconde zone, ceux qu’on a saccagé, violé, abusé, harcelé, négligé et abandonné, avant de leur foutre la honte et le discrédit. Je vous écris de chez ceux à qui on a répondu un jour: «ma foi, c’est comme ça … c’est le moindre mal … faut prendre sur Soi» (ce qui est très difficile quand le Soi n’existe plus) … «Qu’est-ce que tu as encore fait pour provoquer? … t’es complètement folle ou quoi! … faut aller de l’avant …?». 

Je vous écris de chez ces corps meurtris aux contours flous, ceux qui disent merci à tout, qui s’excusent de déranger, s’excusent de s’excuser, … ces gentils à qui il manque ce que les méchants ont pigé, ceux qui ont englouti une ville en état de siège derrière un sourire et une voix détachée, ceux qui se scarifient, ceux qui voient des monstres dans le pot de confiture, ceux qui n’ont pas eu la chance d’être orphelin, ceux qui ne savent pas habiter le présent sans s’y noyer, ceux qui ont commis l’erreur de naître « fille » ou au mauvais endroit, les Gribouille qui se protègent de la pluie en se couchant dans une flaque, ceux qui ont suicidé leur désespoir, ceux qui font rater toutes les thérapies, ceux qui bavent et tremblent leur hébétude dans les couloirs des HP, ceux qui grésillent de l’humeur, les dissidents du réel, les confinés et bâillonnés avant l’heure, les incontinents d’adrénaline et de cortisol, les niqués de l’avenir, les anorexiques de l’ocytocine, les déglingués de la sérotonine, les loosers des jeux de pouvoir, ceux pour qui l’injustice file de l’asthme, les insomniaques cauchemardeux, les serial burn outés, ceux qui ont fini par aimer Dieu (alors que c’est pas réciproque) …. 

Bref, je vous écris de chez tous ces résilients sans pail lettes, ces survivants de violences (sexuelles, de généra tion, de genre, de classe) qui viennent frapper à votre porte, avec ce besoin vital d’extirper de leur nuit des poussières d’étoiles pour éclairer leur route. 

… I can’t forget, but I can’t remember … lalala … (Leonard Cohen )

Je vous écris de chez ceux qui se mettent peu à peu à puer la santé. 

Depuis deux ans, je suis, en effet, sur la Via Ferrata de la guérison d’un traumatisme développemental ou complexe (C-PTSD). On dit que poser le bon diagnostique et l’expliciter, c’est déjà un bon bout de la guérison. C’est telle ment vrai. Après des décennies de tourisme médical et psychiatrique, je peux dire que je suis enfin rentrée chez moi, au chaud dans mon corps. Grâce à un travail psychothérapeutique éclairé, nourri de techniques corporelles, grâce à une formation théorique et pratique en cours et le soutien d’une communauté virtuelle, j’apprends jour après jour à faire de mon système nerveux mon meilleur allié, j’apprends à décoder et à ressentir sa grammaire de survie, j’apprends à traverser ses aberrations, ses embardées, ses blessures, sans frayeur, j’apprends toute une palette d’exercices neurosensoriels pour l’aider à penduler vers le calme. Jour après jour, j’apprends à interroger la condition animale de ma condition et à m’y fier. 

Je vous écris de chez ces rescapés, qui peuvent déjà témoigner d’une amélioration radicale et durable du confort de leur existence. 

CherEs médecins, psychiatres, thérapeutes … 

– Je voudrais être traité comme un acteur à part entière de ma guérison. Pas comme une enfilade de symptômes in curables, juste bonne à colorier des mandalas. Je préférerais que vous me disiez: «Je ne sais pas de quoi vous souffrez ou je n’ai pas les compétences pour vous accompagner»

– J’aimerais arracher chaque page de vos DSM, les badigeonner de mille couleurs, avant de vous demander d’inscrire sur chacune d’elles un poème, une pensée philosophique ou une citation, puis de les jeter dans un feu de camp … 

Quand j’ai passé devant une boutique de coques de Smart phones, allez savoir pourquoi, ça m’a fait penser à votre DSM. 

– Je voudrais que vous évitiez de m’attribuer la responsabilité de mes galères ou de mes sabotages, car un cerveau traumatisé fait des choix traumatisés. Un cerveau traumatisé a perdu sa liberté de disposer de sa volonté en continu. 1A la demande de l’auteur, son nom ne sera pas rendu anonyme. 

Autrement dit, on s’habitue tellement à la violence qu’on finit par penser qu’elle est notre destin. J’imagine que c’est pareil pour les privilèges, on finit par penser qu’on les a mérités. 

– Je voudrais que vous écoutiez les pensées de mon corps, lorsque ma parole est si trouée, ou si surchargée qu’elle ne sait plus où se percher. Car mes traumatismes sont encapsulés dans mon système nerveux, pas dans des événements. 

– Je voudrais que vous renonciez à me demander ce qui m’angoisse, car mon angoisse est sans objet, ni crise de panique. Je suis en permanence en proie avec une énergie frénétique et débordante qui me pousse à faire, agir, intellectualiser plus vite que la peur et m’empêche de me relaxer. 

– Je voudrais que vous m’appreniez à apporter de l’espace respiratoire et de la compassion à mes émotions « négatives », sans me demander de les « gérer » ou de les rendre « positives». Une émotion n’est ni bonne, ni mauvaise. C’est un fait brut. Les moraliser est certes un business très lucratif, mais une imposture faite au vivant. Même les plantes se laissent crever dans un environnement toxique. 

– Je voudrais m’asseoir devant votre bibliothèque comportant tous les livres des grands psychologues, les plus connus comme les inconnus, les plus récents comme les plus anciens, même les plus foutraques, de A comme (Woody) Allen à Y comme (Irvin D.) Yalom en passant 

par toute la psychanalyse et les neurosciences. 

– Je voudrais qu’on se penche au chevet de l’écosystème psychiatrique et qu’on examine ses troubles: de morcellement des savoirs et des pratiques, d’addiction aux psychotropes, de l’évidence naturelle, de déni de la réalité sociale, de dissociation, de boulimie d’honoraires, son langage déshumanisé très autoritaire et en fermant. 

– J’aimerais voir et revoir tous les films, pour comprendre comment se déroule une vie de 0 à 99 ans. 

– Je voudrais écraser ma cigarette dans vos sofas, chaque fois que vous appliquez un diagnostique de trouble de la personnalité borderline, trouble somatoforme, trouble cyclothymique … à une (jeune) femme, sans avoir pris le temps de mener une anamnèse sous l’angle de l’histoire des violences subies (mobbing, prostitution, pré carité, viol, rue …). 

– Je voudrais qu’on puisse échanger nos fauteuils de temps en temps: je pourrais découvrir ce que c’est de vivre sans avoir à me débattre sans cesse pour aller de l’avant dans un flux imprévisible, instable, constellé de menaces innommées. Et vous pourrez expérimenter la consistance d’une de mes dystopies, juste après l’assaut d’un gros flash back émotionnel, lorsque je m’emploie à faire revenir le monde, en assemblant un à un mes repères et des bouts d’identité … tel le montage d’une commode Ikea en kit, sans notice d’emballage. Une autre fois, vous me permettrez de comprendre ce que c’est que de me tenir simplement là, le regard en altitude, avec ce sentiment continu d’être en sécurité dans mon corps, sans me sentir en danger si je n’exécute pas parfaitement ma fonction ou ma tâche .… Et vous viendrez au sous-sol de mon vortex traumatique, goûter ma douleur, lorsque je suis aux prises avec une solitude flippante. Pas de celle qui vous relègue dans le coin le plus confortable de votre canapé avec un verre de Whisky. Non, une solitude avec des dents, un air sidéral et sans lumière sous la porte. 

Ensuite de quoi, on «débriefera et capitalisera nos ressen tis». 

– Je voudrais qu’une Greta mobilise les terriens pour créer une journée mondiale des survivants de violences des Hommes. 

– Je rêverais d’avoir accès à une traumathèque, un centre de réparation des âmes, qui regroupe toutes les ressources écrites et audiovisuelles sur le sujet et ses voies de guérison, des conférences de spécialistes, des programmes éducatifs sur la physiologie de notre mal adie, des ouvrages de toutes les traditions spirituelles, des groupes d’entraide, des séances de méditation, des cours de respiration, des massages adaptés à notre problématique, des séances de Taï chi, yoga, danse, chant … des ateliers créatifs d’expression artistiques …, animés par des pédagogues qui m’aident à sublimer cette matière noire, dégueulasse et poisseuse en moi que je ne parviens pas à porter au langage. Qu’on en finisse avec ces occupations infantilisantes, animées par un in tervenant social sans autre compétence particulière que ses préjugés et l’autorité de sa fonction. 

– Je voudrais botter les fesses de la médecine (ou des politiques sanitaires), jusqu’à ce qu’elle nous réserve le même soin, le même prestige, et les mêmes budgets qu’un service d’oncologie avec ses équipes interdisciplinaires de spécialistes, ses physio, ses thérapies complémentaires, ses chercheurs, ses programmes de dépistage précoce et de prévention de la contagiosité… après tout, nous souffrons aussi d’une forme pandémique de cancer, celui des émotions. 

– Je voudrais que l’ «intégration» ne soit plus un hochet conceptuel, ni une niche professionnelle, mais un projet de société qui fonde sa politique sur des valeurs horizontales de progrès social, de coopération, de soin, d’entraide, de respect du (et des) corps …. 

– Je voudrais que vous ne reproduisiez pas les techniques universelles des agresseurs, comme me chosifier, me figer dans une catégorie, me réduire au silence, manipuler mes sensations, me pathologiser … qui ne font que rajouter une couche de trauma. 

– Je voudrais tellement qu’on maltraite la conspiration des oreilles bouchées et qu’on assassine le dualisme corps-esprit. 

– Bref, je rêverais qu’on (re)mette le monde à l’endroit … je rêve beaucoup, je sais … preuve, que je recouvre la santé …. 

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