Au printemps j’ai été hospitalisée d’urgence pour une bouffée délirante.
C’est une histoire que j’aime bien raconter et sur laquelle personne ne me questionne vraiment.
Les gens s’imaginent que c’est impudique de demander, ou alors ils ne veulent pas vraiment savoir.
Le lendemain matin de mon arrivée, c’est moi qui rassure ma mère qui angoisse à l’autre bout du fil.
Je rassemble tout ce qu’il me reste d’énergie pour lui parler depuis le brouillard épais, pour envoyer un signe de vie encourageant dans le téléphone,alors que je somnole sur le matelas fin comme une galette de l’hôpital.
Je me rendors sitôt après avoir raccroché.
Hier soir à mon admission, j’ai demandé un anxiolytique, et l’infirmier m’a donné des gouttes dans un peu de sirop.
« ça casse le délire, c’est pour les angoisses un peu massives »
Il est gentil et maigre, des tatouages plein les bras.
Il a mon âge, il me vouvoie et me sert ce verre de sirop comme je pourrais servir un verre à un.e ami.e qui a besoin de se calmer, ça me déconcerte.
Je suis arrivée aux urgences avec seulement mon sac à main, je me suis un peu fait pipi dessus, je ne me suis pas lavé les dents et soudain face à ce mec que je pourrais rencontrer chez des ami.es, j’ai honte.
Je remercie pour l’anxio. 5 minutes après je suis détendue, 15 minutes après je ne peux plus porter ma tête,trop trop lourde,et je m’endors là, la face contre la table de la salle d’attente.
Quand on vient me chercher pour m’amener à ma chambre, il faut me secouer pour me réveiller et m’aider à marcher.Je suis un zombie dans les jardins de l’hôpital, il fait nuit, l’infirmiere me tient le bras.
On prend des ascenseurs.
La lumière blanche, l’odeur de pipi et de cheveux sales, voilà votre pyjama,allé, à demain.
Le lendemain, je ne vois pas le médecin parce que c’est férié.
Je suis convaincue d’avoir été empoisonnée,que c’est pour ça que je déraille.
Dans le cahier que ma sœur m’a apporté, j’ai écrit » personne ne croira à la thèse de l’empoisonnement ».
On m’avait dit qu’on me ferait une prise de sang pour vérifier.
Mais c’est férié, alors ya pas de médecin,et ya pas de prise de sang.
C’est foutu, je pourrais prouver à personne que si je débloque c’est parce qu’on m’a voulu du mal.
J’ai plus d’hallus depuis que je suis là.
Soit c’est que le poison ne fait plus effet, soit c’est les gouttes d’hier soir.
Ce jour là, j’en ai pas de souvenir, en dehors des repas où j’essaie d’échapper à Christophe,qui veut absolument me donner son numéro pour qu’on aille ensemble à la machine à café.
Il a plus de dents,peut-être 15 ans de plus que moi,son numéro est écrit au dos de son téléphone portable.
Je lui dis qu’on verra plus tard, il me dit qu’il comprend,que c’est dur les premiers jours, qu’il faut que je me repose.
» Tu trembles pas, c’est bien. »
Je ne veux pas lire, pas regarder mon téléphone parce que ça alimente mes pensées, et puis je suis épuisée.
J’ai du dormir pas mal.
Le deuxième matin arrive dans ma chambre avec l’infirmiere.
Elle vient me réveiller et me gronde doucement.
» Il fait froid ici ! Ça va pas, vous allez attraper la mort. »
Ma fenêtre est restée entrouverte toute la nuit parce que je supporte pas cette odeur d’hôpital et qu’on peut pas l’ouvrir en grand une bonne fois pour toute.
Je dis oui pardon c est que j aime pas l’odeur d ici, je rassemble mes couvertures, ça me fait bizarre qu’elle me voie au réveil comme ça.
Elle se radoucit, elle a fermé la fenêtre et elle vient me prendre la tension.
Je me dis elle va sentir l’odeur de la nuit , est ce que j ai des crottes d oeil ?
Elle a les doigts longs et bruns,les ongles un peu bombés et limés en amande, petites amandes vernies de rouge tout au bout de ses doigts, elle sent bon, je respire son parfum.
Je voudrais lui faire un compliment, mais je ne sais pas quoi dire, je veux pas la mettre mal à l’aise, je me dis que ça attendra.
Elle manipule mon bras délicatement et en silence.
Je jette un coup d’œil à au soin apporté à sa tenue, à sa perruque en vrais cheveux impeccable.
Elle me sourit.
Après ça, fini la douceur.
On me force à prendre du tercian alors que ça me donne des vertiges, oui c’est normal c’est un effet secondaire du tercian vous inquiétez pas.
Jusqu’à ce que je m’évanouisse un matin dans le poste de soin, alors là quand même les infirmières m’ont écoutée.
Les longues journées à rien branler en pyjama bleu et à me remettre à fumer tellement y avait rien à branler à part les putain de coloriages de la salle commune qui sentait l’urine par moments, et toujours le renfermé.
Les autres ne restent pas longtemps dehors, c’est le début de l’été et leurs antipsychotiques les photosensibilisent.
Un café au soleil et déjà les plaques rouges apparaissent.
« Putain je crame sa mère ! Je remonte… »
» à toute »
Moi je reste sur le banc dans le jardin, avec une femme dont le psychiatre continue de lui prescrire des électrochocs pour soigner sa mélancolie.
Elle me raconte que ça l’aide pas, que ça lui file des trous de memoire en plus du reste.
Elle s’est acheté un doudou pour serrer quelque chose, parce que ça lui faisait mal.
8h, midi, 18h, la bouffe infâme.
2h du mat, le surveillant qui rentre dans ma chambre pour me dire d’éteindre la lumière et qui m’engueule parce que je sursaute à sa vue » vous êtes pas chez vous ici mademoiselle » » je peux rentrer quand je veux «
Les heures à attendre le psychiatre qui me prend de haut,et encore je suis une femme blanche avec une éducation bourgeoise,et les codes qui vont avec.
Il sait qu’il peut pas non plus dire ce qu’il veut, que quand je pose des questions il me doit un minimum d’explications.
Oisive, je grignote, je fume, j’angoisse et j’observe.
Qu’on m’infantilise moins que les autres, les toxicos, les légumes, celleux qui délirent non stop et qu’on assomme de médocs,celleux qui parlent pas français et qui ont pas de sous pour leurs cigarettes.
Je suis témoin comme partout ailleurs qu’on a pas toustes le même capital respect.