La violence envers les femmes en tant que patiente est assez terrible. Dès notre arrivée, nous
avons donc pu constater la mixité des espaces de toilette ainsi que leur saleté, exiguité et surtout leur
insuffisance numéraire. Cette situation entraîne des violences machistes quotidiennes. Les remarques
à la sortie de la douche, les insinuations „quand est-ce que tu viens prendre un bain avec moi je
t’attends“…“Si tu ne fermes pas la porte à clé je viendrai te retrouver“, etc. Nous avons en effet
connaissance de certaines patientes qui n’osaient pas fermer les portes à clé, suite à un trauma, et
qui vivaient dans l’angoisse qu’un homme vienne les déranger ou les agresser. Même si cela n’est
jamais arrivé, les menaces et les moqueries ont été suffisantes pour que nous mêmes regardions à
deux fois le loquet de la porte de la douche et du WC. Le point sur lequel nous aimerions insister, au
delà de cette mixité imposée des sanitaires est leur disposition. Il aurait été possible de réaliser des toilettes mixtes où la vision des hommes urinant n’était pas obligatoire. Malheureusment, ce n’est pas
le cas. Les patientes doivent voir les hommes uriner, sans possibilté de faire autrement, car la porte
s’ouvre sur les urinoirs. Nous avons donc du voir plusieurs fois des hommes montrer leur sexe en se
vantant…ou même parfois sans le faire exprès…D’autre part, les toilettes mixtes imposent que les
hommes aillent systématiquement déféquer dans les toilettes fermées, les femmes n’ayant donc qu’à
supporter systématiquement la saleté liée et les odeurs, sans compter les bruits de certains. Le
manque d’intimité est déjà suffisamment insupportable sans y rajouter cette sournoise domination
masculine sur nos corps lors des besoins primaires de toilette et d’uriner.
Comme nous l’avons mentionné, de nombreuses patientes souffrent de constipation et de
cystites car elles n’arrivent tout simplement pas à utiliser ces toilettes. Nous étions obligées de nous
boucher les oreilles et de nous dissocier afin de pouvoir uriner également tant la situation été
stressante. Surtout pour les victimes d’abus sexuels, qui étaient la majorité des femmes présentes
dans le pavillon. Concernant les douches, pareillement, la conception a été faite de telle manière
qu’on ne sait pas s’y habiller. Pourquoi? Cela oblige les patientes à traverser les couloirs en petite
tenue, voire nue, ou de supporter les habits mouillés…enfin bref, pourquoi cette violence supplémentaire dont bien sûr, les hommes ne se plaignent pas puisqu’ils peuvent se promener en slip
sans recevoir de remarques.
De toutes nos observations, nous retenons que la position sociale des femmes en milieu
psychiatrique est celle de proie et de marchandise.
D’abord de proie, car à tout moment, et dans les espaces, même les plus publics (ou privés),
les hommes sont là pour vous rappeler votre condition d’objet sexuel. Remarques sur les vêtements,
sur votre corps, harcèlement sexuel constant (parfois même envers les infirmières). De nombreux
groupes de jeunes hommes du pavillon des addictions sont ainsi installés sur les bancs dans le parc
reliant les divers pavillons. Impossible d’échapper aux remarques sexistes sur nos vêtements, notre
attitude. Un jour ainsi, allant fumer une cigarette dehors au self, nous nous fîmes insulter par toute
une bande de patients car „tu pourrais sourire connasse ça te couterait pas plus cher“. Ce à quoi nous
avons répondu sèchement que nous n‘étions pas ici pour sourire et qu’ils avaient intérêt à nous
laisser tranquille. Peu habitués à une réponse ou à une contre-agression, ils ont décampé.
Malheureusement, de nombreuses femmes ne peuvent pas se défendre, et subissent de plein fouet
ce harcèlement constant sans pouvoir rien faire. Que ce soit aux ateliers ou dans le parc, ou dans le
pavillon il faut supporter tout : les „salopes, connasses, pouffiasses, bitch, grougnasse, grosse pute et
eeeeh madmoizeeelle“ quotidiens, les exhibitions de sexe ou de fesses masculines quand c’est
possible, les plaisanteries sexuelles et graveleuses, humiliantes, dénigrantes… Nous sommes des
proies sexuelles possibles pour chaque patient, et ils nous le font bien comprendre. L’attitude du
personnel soignant (pas des psychologues) face à cela est complètement ahurissante dans sa non
intervention. La dimension de violence sexuelle est totalement niée.
Ainsi, un patient violeur (nous le savions) passait près de nous en permanence en émettant des
bruits évocateurs d’ébats sexuels. Dégoûtée au plus haut point, nous allâmes nous en plaindre aux
infirmières. Pour toute réponse nous obtînmes „c’est sa pathologie, il faut le supporter comme
cela“. Alors que les femmes, bien sûr, doivent contrôler leurs émotions ou pathologies, les hommes,
sont, les pauvres, soumis à leurs incontrôlables pulsions naturelles. Le discours Freudien est tellement
intégré que rares sont les personnes à le remettre en question. Ainsi,nous sommes allées trouver ce
patient de 65 ans, obèse et très négligé…et lui avons dit de manière assertive que cette attitude nous dégoûtait et que nous souhaitions qu’il arrête cela immédiatement. Il a directement cessé d’émettre
ces bruits dégoûtants et de nombreuses patientes sont venues nous remercier.
Les femmes vivent dans la peur des patients masculins et n’osent rien leur dire car leur
violence est considérée comme normale. A l’inverse, toute femme qui fait une réflexion de ce genre à
un homme sera réprimandée. Une patiente borderline dit ainsi un jour à un homme qu’il lui plaisait et
fût convoquée immédiatement au bureau des infirmières et dût s’excuser…Deux poids deux mesures
pour les hommes et les femmes. Seules certaines psychologues remettent les hommes à leur place et
les recadrent sur leurs réflexions sexistes. Par contre, sur leurs réflexions racistes, elles ne disent
même rien. Nous fûmes horrifiées d’entendre certains discours tenus dans les ateliers
thérapeutiques.
Notons que le fait de mélanger les agresseurs et les victimes de violences sexuelles nous
paraît des plus malsains. Comment une victime pourrait-elle aller mieux en étant en situation de
danger permanent, réel ou possible? Au départ, nous ne pouvions fermer l’oeil de la nuit tant nous
étions terrorisées par certains patients (qui disaient ouvertement avoir violenté leur femme). La
situation était encore pire dans le pavillon de semaine où nous étions seuls la nuit. Seul un veilleur de
nuit effectuait des rondes…bref il n’y avait AUCUN moyen d’appeler à l’aide au cas où quelque chose
Pour de nombreuses infirmières, être violent, être violeur, fait partie d’une pathologie…symétrique à une
dépression et surtout, cela n’a rien à voir avec un comportement spécifique aux hommes.
se passerait. Rétrospectivement, cela nous effraie encore plus. Bien sûr, les femmes qui angoissent à
ce sujet sont traitées d’hystériques et leur ressenti tout à fait normal est dénié.
La formation des couples est une autre des violences masculines imposée à toutes dans
l’hopital entre les patients. Dès qu’une nouvelle patiente arrive, elle fait l’objet de convoitise et de
remarques et invitations sexuelles. Certaines y cèdent et finissent en couple, dans le plus pur
attachement traumatique.
Il s’agit souvent de très jeunes filles victimes d’abus répétés, qui se sentent obligées de sortir avec des hommes plus âgés pour bénéficier de leur protection contre les autres agresseurs. Nous avons recueilli le témoignage de plusieurs d’entre elles. Nous donnons celui de Sophie, 17 ans, victime d’inceste depuis son plus jeune âge. „Il a tellement insisté tu vois, Pierre (ndlr : 52 ans). Oui je le trouve moche mais il est gentil. Moi je ne voulais que d’une amitié, tu vois, qu’il me protège des autres qui essaient tout le temps de me choper dans les couloirs.
Mais bon il a bien fallu que je cède, alors j’ai bu beaucoup et j’ai fumé des joints pour supporter. Le pire c’est qu’il croitque j’adore ca mais moi il me dégoûte j’ai vomi tout le lendemain. Mais bon au moins, je suisprotégée, je peux me promener tranquillement dans l’hopital, si quelqu’un me touche il leur casse la
gueule“…La pauvre Sophie ignorait que le brave Pierre allait la refiler à son meilleur ami une fois leur
relation finie…sans même lui demander son avis. Car nous sommes, avant tout, des marchandises.
Nous prenons place dans le système des privilèges masculins. Notre soi-disant protection contre les
prédateurs échangée contre le sexe sont en fait une violence et un mensonge de plus.
Nous sommes donc des marchandises. Comme l’a observé Hubert Prolongeau en seulement
quatre jours (!) d’hospitalisation en psychiatrie, les femmes sont considérées par les patients
comme des biens de consommation, identiques aux cigarettes. Il avait observé que les patients
cotaient les femmes en calculant le nombre de cigarettes qu’elles valaient. Nous avons pu observer
des comportements identiques. Ainsi, deux hommes du pavillon des addictons nous expliquaient leur
tableau de critères pour noter les femmes…en terminant par le prix, équivalant à autant de
cigarettes qu’ils seraient prêts à payer. Entre eux, les hommes discutent de la „baisabilité“ des
femmes. Quand une leur dit non, ils en font toute une histoire et se victimisent…avant d’aller en
chercher une autre. Nous avons été ainsi harcelée par un patient particulièrement pénible, qui, au vude nos refus, nous insulta et fit en outre courir le bruit qu’il nous violerait lorsqu’il le voudrait. Voilà le
genre de propos entendus quotidiennement par les femmes. Par moment, nous avions l’impression
d’être dans un grand système prostitutionnel. Il y avait les macs (les leaders des patients), qui
autorisaient ou non les relations sexuelles avec leurs „filles“…et tout ça sous l’oeil du personnel qui
ne disait rien du tout. Et même pire, certains infirmiers profitent allègrement du système mis en place
et piochent à l’envi dans le „troupeau de patientes“ ou distribuent des préservatifs (fait confirmé
également par H. Prolongeau). Car avant d’être des soignants, ils sont des hommes, et imposent leur
violence en tant que tels. Et cela n’est pas sanctionné par l’institution mais vu comme normal. Les
couples infirmiers-patients sont tout à fait tolérés à notre grande surprise.
Un jour, très en colère contre ces patients, nous sommes allés les trouver et leur avons
demandé s‘ils n’avaient pas honte d’utiliser les femmes qui viennent ici pour être soignées et non
pour être traitées comme des marchandises. Nous fûmes étonnées de leur réponse, car non
seulement ces hommes connaissaient très bien le fonctionnement de la mémoire traumatique, mais
en plus, ils s’en vantaient. Nous citons, ici, Joseph, 65 ans, “On les repère vite hein ces filles-là, les
petites jeunes qui ont été bien traumatisées. Elles se laissent faire facilement. Alors écoute hein, on va
pas aller se casser le cul à devoir séduire quelqu’un alors que y‘ a des connes qui ouvrent les jambes
facilement parce qu’elles ont été traumatisées plus jeunes et qu’elles ont l’habitude. On a des besoins
nous, faut bien les satisfaire, tu ne peux pas comprendre.“ Notre rage fût telle que nous avons quitté
la conversation. Ces hommes, issus de tous les milieux et de toutes les classes agissent donc en pleine
conscience de l’état de faiblesse des femmes. Ils se considèrent comme des prédateurs et en sont
fiers. Ils en tirent même une composante identitaire de leur virilté. Ce constat nous a profondément
terrifiée et choquée. Nous devions dormir avec ces gens, manger avec eux, nous laver, etc. Nous
devions donc „guérir“ en vivant à coté de ces hommes pensant que toutes les femmes leur sont dues
et recherchant les failles chez les plus traumatisées pour pouvoir les „baiser“. Si l’Asile est un miroir
grossissant, il l’est particulièrement pour les rapports de domination entre les sexes. La notion de
consentement n’a même pas lieu d’être car „Il suffit d’insister un peu et elles cèdent toujours, et celles
qui ne cèdent pas ce sont des coincées“. (Paul, 45 ans).“De toute façon elles s’habillent en putes, alors
c’est bien fait qu’on les viole et qu’on les utilise comme des putes, les femmes ici c’est des salopes en
puissance, elles adorent ça se faire baiser et nous provoquer tout le temps“ (Carl, 32 ans).
b) La domination masculine des soignants et soignantes
La violence masculine des soignants n’est malheureusement pas l’apanage des hommes. Les
femmes infirmières ne sont pas mieux. Remarques sexistes, invitation à se mettre en couple ou en
ménage avec un patient ou l’autre. Nous avons été horrifiées d’assister à des scènes où les infirmières
expliquaient que les patientes devaient aider les hommes et les soutenir car ils souffraient…Encore
une fois, les stéréotypes sur les femmes „sauveuses“ et à l’écoute des hommes étaient légion. Une
patiente se vit ainsi forcée par le personnel d’accueillir chez elle un patient SDF, violent, avec qui elle
avait une relation de couple. Personne ne pense aux intérêts des femmes, financiers, moraux et de
santé.
La disposition même des pavillons nous fait nous interroger. Est-il logique que le pavillon des
dépressifs soit situé à côté du pavillon des addictions où la plupart de la population y est contre son
gré afin d’éviter la prison et ne se trouve pas dans une démarche thérapeutique? Les prédateurs
viennent essentiellement de ce pavillon et les victimes d’hommes violents sont dans l’autre. Etait-ce
obligatoire d’accoler ces deux pavillons? Et le pavillon des jeunes, où les prédateurs vont aussi
piocher à leur guise dans les filles disponibles, ne pourrait-il pas être situé ailleurs pour plus de
protection? L’organisation sociale même des bâtiments invite à la logique de prostitution et de
marchandisation des femmes. C’est en voyant se répéter un schéma identique à au moins cinq
reprises que nous en sommes arrivées à cette conclusion. Notre premier psychiatre, féministe,
passait son temps personnellement à jeter dehors les „jeunes coqs“ qui venaient ennuyer les
patientes du pavillon 5. Mais par la suite il fût envoyé ailleurs et le nouveau psychiatre, masculiniste,
permit cela.
Ce psychiatre a lui seul mérite qu’on s’y attarde. Se permettant des remarques sexistes en
permanence, jugeant le physique des patientes, leur coupant la parole et les insultant régulièrement,
il se permettait aussi de tenter de les séduire! Nous avons appris qu’il entretenait également des
relations sexuelles avec de jeunes infirmières, tout autant victimes que nous de ce système
prostitutionnel. Profiter de sa position de psychiatre pour abuser des femmes et de leurs traumas
nous paraît être une faute professionnelle très grave et nous l’avons dénoncée à plusieurs reprises à
la médiatrice de l’hôpital.
C’est aussi à cause de ce psychiatre qu’une jeune fille mineure, handicapée mentale légère,
subit un viol par un des patients (reconnus pour faits de moeurs) du pavillon des addictions. C’est le
viol que nous mentionnons plus haut. Aucune protection n’avait été prévue pour cette jeune fille et
elle fût dès ses premiers jours la proie des prédateurs sexuels. Pour être protégée elle accepta de
sortir avec l’un d’entre eux, qui la viola dans les bois proches de l’hopital (autre lieu encore une fois
insécure et sous la domination masculine). Ce que nous avons pu saisir de l’histoire est terrible. D’un
âge mental d’environ 8 ans, elle avait dit à son agresseur qu’“elle voulait bien un bébé avec lui“, sauf
que pour elle, cela signifiait un bisou sur la bouche…Entre le non-professionalisme du psychiatre qui
l’avait placée consciemment dans l’aquarium à proies que constitue le pavillon des dépressifs et les
remontrances qu’elle a subies de la part des infirmières (c’est de ta faute tu n’avais qu’à pas lui parler
on te l’avait dit), nous fûmes horrifiée. Ajoutons que la surveillance de la jeune femme avait été
demandée…à un patient ayant lui-même assassiné sa femme. Donc, le personnel était tout à fait au
courant de ce qui allait arriver, mais n’a rien fait, il a consenti. La police fût appelée et l’homme
récidiviste relaché bien sûr puisque la petite avait „donné son consentement“. Nous avons vu tant de
cas de viols durant notre séjour de douze mois que nous nous demandons parfois comment nous
avons réussi à nous soigner, et surtout, comment les femmes survivent dans ce monde hostile
masculin. Et surtout, pourquoi personne ne remet en question ces violences masculines qui
empêchent toute thérapie sur la mémoire traumatique d’être efficace puisque les femmes se
trouvent dans un lieu non-sécurisé.
Nous avons tenté plusieurs fois d’expliquer les théories de Muriel Salmona au personnel
infirmier. Nous fûmes tournée en ridicule et même accusée de nous servir de nos connaissances pour
nous victimiser. „Oui c’est ça, cachez vous derrière votre mémoire traumatique pour ne pas avancer“.
A côté de ça, le personnel se mêle de la vie privée, interdit des couples, en pousse d’autres à se
former, dans le délire le plus total. Où se trouve la question du bien-être de la patiente dans cet
univers ubuesque? Et c’est vers la fin de notre séjour que nous avons compris pourquoi les toilettes
étaient mixtes…suite à des confidences de patients masculins…C’est là qu’ils attrappaient leur proie
le plus facilement. Nous ne savons pas si notre cerveau nous a caché cette information pourtant
évidente pour survivre ou si cela constitue un tel non-sens thérapeutique que cela ne nous était
même pas passé par l’esprit. Mais en effet, une fois les faits intégrés et analysés, la raison de
l’existence de ces toilettes et douches mixtes (non surveillées), est bien la continuation de la
violation de l’espace, des corps et de la marchandisation des femmes. Puisque les chambres sont
non-mixtes, il fallait bien un endroit pour qu‘aient lieu les viols et les divers trafics : drogue,
alcool,…Cette conclusion peut avoir l’air dure. Mais elle est réaliste. La peur des femmes est donc
totalement justifiée dans ces espaces.
Lorsque nous avons compris cela, nous avons interrogé plusieurs membres du personnel sur les
rapports sexuels dans l’institution. Concernant ceux entre patients, ils étaient sûr qu’ils étaient tous
consentis et s’ils en l’étaient pas, que cela venait de la pathologie de la patiente (jamais de celle du
patient). Nous apprîmes en outre, sans surprise, que la sortie pour se rendre chez les prostituées “
était au programme puisqu’il fallait bien que les pauvres hommes se vident…et que pour les
soignants, mieux valait que cela se fasse sur les personnes consentantes que sur les patientes. La
vision de la prostitution comme service social est celle entendue à de nombreuses reprises dans le
milieu psychiatrique, totalement soumis à la domination totalitaire et masculine.
VII. Conclusions et recommandations
Nous souhaitons conclure cette recherche par le relevé des éléments à améliorer concernant la
prise en charge psychiatrique des patientes. En effet, de nombreuses fois, nous avons été interrogées
sur le fait de devoir ou non se faire hospitaliser. « Y retourneriez-vous » ? Notre réponse est nuancée.
Oui, nous y retournerions lorsque la vie est en danger, lorsqu’il n’ y a pas d’autres solutions, car la
société n’a produit que cela pour les personnes dépressives en trouble suicidaire. La présence des
hopitaux psychiatriques est une nécessité vitale. Cependant, de nombreuses choses pourraient éviter
aux femmes de subir la violence intégrante à ce milieu.
D’une part, il serait temps que le milieu psychiatrique, et surtout infirmier, se remette en
question du point du vue de la violence morale imposée comme soin. La réalisation d’études
objective à ce sujet permettrait peut-être d’entériner cette vieille logique du patient « fou » à
remodeler et à réintégrer via la mortification de sa personne. Il est bien triste qu’encore aujourd’hui
on isole des personnes dépressives dans un lieu de torture et qu’on leur fasse subir des électrochocs.
Cela n’est pas normal dans un pays dit « civilisé ». La torture morale et physique infligée aux patients,
le déni de leurs émotions et le système de punition et de privilège devraient être abolis totalement.
L’institution psychiatrique devrait sortir de son costume totalitaire pour devenir un réel lieu de soin et
d’épanouissement. Nous savons que de nombreux soignants tentent de faire changer les choses en ce
sens. Cela donne espoir pour l’avenir. Il est intolérable que des êtres humains doivent subir de tels
actes sous prétexte d’être soignés.
Concernant la violence spécifiquement faite aux femmes, nous insistons en premier lieu sur la
non-mixité obligatoire des lieux de repos et sanitaires, au minimum. Le droit à la sécurité physique
nous paraît devoir être respecté et il ne l’est pas tant que la culture du viol règne en maître dans ces
institutions, comme partout ailleurs dans la société. Et si cette non-mixité n’est pas possible, que les
soignants au minimum soient conscients des risques sexuels encourus à tout moment par les
patientes. Le personnel médical doit absolument sortir du déni total de cette violence. La réflexion
autour des logiques de construction des pavillons, des sanitaires et de la répartition des patients
doivent passer par ce filtre, sinon la violence sexuelle ne peut diminuer. Lorsque nous avons évoqué
ces pistes avec des soignants, nous nous sommes heurtées au déni et bien sûr au fait que nous
exagérions les faits. Mais les faits sont là. Il suffirait de réaliser des enquêtes sur la violence sexuelle
en milieu psychiatrique afin de récolter des données fiables auprès des patientes.
En deuxième lieu, il serait bon d’instaurer des mesures de protection élémentaire. A savoir,
ne jamais mélanger d’agresseurs et de victimes de violences sexuelles, et prendre en compte le passif
à ce sujet des patients masculins. Nous comprenons l’idée que chaque patient mérite d’être soigné,
mais pas à décharge d’autres personnes, dont les femmes, méritant tout autant d’être soignées en se
trouvant en sécurité.
En troisième lieu, au cas où des violences sexuelles arrivent, il serait a minima obligatoire de
reconnaître et de nommer ces violences et d’apporter les soins nécessaires à la patiente. Qu’on ne
puisse empêcher le viol est une chose. Qu’on culpabilise la victime en est une autre. Nous rejoignons
Muriel Salmona sur la nécessité urgente de former le personnel à une meilleure prise en charge des
victimes de violences sexuelles. La réalité de la mémoire traumatique et de ses mécanismes devrait
être connu par tous les soignants.
Et enfin, il serait souhaitable de réaliser une réelle sensibilisation et une formation auprès des
soignants en psychiatrie pour leur enseigner une vision plus libérée des stéréotypes de genre. Et les
sensibiliser ainsi à la culture du viol. Non les hommes n’ont pas des pulsions intolérables qu’il faut
soulager. Non, les hommes n’ont pas le droit de considérer les patientes comme des proies et des
marchandises. Oui, les patientes ont le droit de demander à un homme d’arrêter de les harceler,
physiquement et moralement. Ce n’est pas parce que l’institution psychiatrique enlève tous les droits
aux êtres humains qu’elle a également le droit d’enlever le droit à l’intégrité psychique et physique
des femmes. Bref, réaliser un tour d’horizon de la culture masculine présente en hôpital
psychiatrique nous semble crucial. La culture du viol, vue comme immuable, y fait des victimes
quotidiennes qui souffrent en silence. Déjà fragilisées, ou au préalablement agressées, ces femmes
ne peuvent ni dire ce qu’elles endurent (car elles ne sont pas crues), ni même témoigner de leur vécu
en-dehors de l’institution.
C’est pour elles que nous avons écrit ce texte. Nous sommes libres, nous sommes sorties de
l’institution totalitaire. Mais une partie de notre âme est restée là-bas…et continue de souffrir
lorsque nous pensons à toutes les femmes, les jeunes filles, qui doivent subir la violence sexuelle au
quotidien, en silence et avec la participation, principalement inconsciente, du personnel soignant. En
clôturant ce texte, nos pensées vont vers elles et nous les remercions de la confiance mais aussi de la
sororité dont elles ont fait preuve pour nous confier ces témoignages.
Bibliograhie
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1989, pp. 123-132
FOUCAULT M., L’histoire de la folie à l’âge classique, (rééd. 1961), Editions Gallimard, Paris, 1997
PROLONGEAU H., La cage aux fous, éditions Librio, Paris, 2002.
WITTEZAELE J-J.(sous la dir.), La double contrainte. L’héritage des paradoxes de Bateson, éditions
De Boeck Université, Bruxelles, 2008.